Je n’ai pas compris que tu étais en danger, je ne l’ai même pas soupçonné. Comment est-ce possible qu’une mère ne sache pas que son bébé sera bientôt bercé par la Grande Faucheuse, comment?
Je ne l’ai pas compris et le personnel hospitalier non plus. Comment aurions-nous pu savoir qu’une infection détruisait ton corps depuis des heures et peut-être des jours, alors que tu n’en montrais aucun signe? Aucune fièvre pour moi, aucune décélération de ton petit cœur durant l’accouchement, accouchement qui se déroulait d’ailleurs normalement. Rien de rien pour nous permettre de t’aider et peut-être, te sauver. Même lorsque tu es née, lorsque j’ai entendu l’infirmière prononcer « mille et un, mille et deux, mille et trois » en s’activant sur toi, je ne réalisais pas l’ampleur de ce qui arrivait. Je ne l’ai compris que plusieurs minutes plus tard, alors que ton papa, lui, comprenait bien ce qui arrivait. Bercée dans mes illusions, je n’attendais que ton retour avec nous, retour qui est arrivé mais pas celui que je croyais.
C’est ça, de ne pas avoir compris que tu nous quittais alors que je croyais te donner vie, qui est le plus difficile à vivre. J’ai tenté de me faire rassurer par divers intervenants, me faire dire que c’était effectivement possible que je n’aie rien vu venir ni compris ce qui arrivait, mais rien de ce qu’ils me disent n’apaise cette profonde douleur, cette incommensurable vague de culpabilité qui me submerge et qui pourrait m’engloutir, si je lui en laissais le droit.
Cette culpabilité est, pour moi, une étape de plus dans mon deuil, mais je ne sais pas où elle se situe… Dois-je la franchir ? L’accepter ? Ou simplement apprendre à composer avec elle et valser dessus au gré des saisons? Dans ces moments où elle est trop présente, je me répète les paroles d’une précieuse amie qui me dit « Sois ton amie »… Et si justement, c’était une amie qui me disait ces mots, est-ce que je lui dirais qu’elle aurait dû savoir que la mort était imminente, que son bébé était en train de la quitter et que ce n’est pas normal qu’elle n’ait rien vu arriver?! Bien sûr que non, je n’aurais qu’empathie et compassion à lui offrir, je regarderais les faits, les décortiquerais, pour que mon amie sache qu’elle n’a rien fait de mal, qu’elle est une maman qui a vécu l’impensable et je l’accompagnerais avec douceur sur ce chemin.
Est-ce qu’un jour je serai mon amie au point d’avoir rayé cette culpabilité de ma vie? Je l’ignore, mais quand elle se présente à moi, maintenant, je ne la laisse plus prendre toute la place. J’apprends encore à vivre avec elle, mais on est encore loin de l’acceptation. Ma belle fille, je n’ai juste pas compris que tu étais en danger et je dois vivre avec….