À l’approche des Fêtes, je ne peux m’empêcher de repenser à mon premier Noël après le décès de ma fille. Il y avait à peine deux mois que j’avais bercé ma cocotte alors que le ciel l’avait déjà accueillie. Très exactement 63 jours, si courts et si longs à la fois.
Les réunions de famille ne me disaient strictement rien, côtoyer des enfants me semblait être une montagne à gravir et voir le bonheur de ma sœur et mon beau-frère avec leur fils, né deux semaines après Léanne, le matin même de ses funérailles, m’était presque insupportable, même s’ils ont été d’une immense délicatesse avec nous (je suis désolée mon Raphaël adoré, tantine n’a pas été très présente durant ta première année de vie, même si je t’aime de tout mon coeur…) J’aurais tellement voulu être seule avec mon amoureux et notre peine.
Je n’avais pas envie de gérer mes réactions vis à vis d’autres gens, ça ne me tentait pas, point. Je me souviens que certains dirigeaient systématiquement la conversation vers d’autres sujets si j’osais prononcer le nom de ma fille et d’autres, moins discrets, se sauvaient carrément de moi. Plusieurs ont tout simplement fait semblant que rien n’était arrivé. Je sentais le malaise des gens quand on arrivait quelque part, c’était si lourd. J’avais souvent l’impression d’être seule, seule au milieu d’une salle pleine de gens. Que de colère m’habitait quand ça arrivait, ça me faisait peur.
J’aurais tellement voulu qu’on me laisse parler sans fin de Léanne, qu’on me laisse la pleurer autant que j’en avais besoin sans me cacher, sans que j’aie l’impression d’avoir trop de peine ou d’en avoir depuis trop longtemps, je sentais parfois l’inquiétude de mes proches. J’aurais voulu que spontanément on me parle d’elle, qu’on me demande de voir sa photo, qu’on me demande de voir les rares trésors rapportés de l’hôpital. J’avais un besoin viscéral de prouver à tous que Léanne avait existé et que oui, j’avais le droit d’avoir de la peine. Qu’on arrête de s’excuser de me faire pleurer chaque fois que je parlais de ma fille, parce que comme j’ai toujours dit « je n’ai pas besoin de vous pour pleurer ma fille, j’en suis capable toute seule. Ce n’est pas quand vous m’en parlez que j’ai envie de pleurer, c’est quand vous ne m’en parlez pas ».
Et à d’autres moments, j’appréciais d’avoir quelqu’un près de moi, quelqu’un qui est juste là, sans nécessairement parler. Je me souviens clairement d’un après-midi avec une amie précieuse, toutes deux avec un café à la main, assises dans sa voiture stationnée derrière une église, à regarder la rivière qui n’était pas encore gelée. On a peu parlé et c’est ce dont j’avais besoin; une amie qui me tient la main, me tend un mouchoir, n’est pas mal à l’aise avec mes larmes, une amie qui respecte et partage ma peine sans jugement, une présence silencieuse et compatissante.
De l’autre côté, je me sens un peu ingrate de penser tout ça, parce que ce n’était pas tout notre entourage qui était mal à l’aise avec notre deuil. J’avais vraiment la chance et même le privilège d’être bien entourée par la plupart des membres de nos familles et nos amis, mais personne ne pouvait comprendre l’étendue de la peine qu’on vivait.
Quand je repense à mon premier Noël sans elle, je pense aussi à vous, chers parents orphelins qui devrez traverser votre premier Noël depuis le décès de votre enfant. J’ai envie de vous dire que oui, ça risque d’être difficile, d’être possiblement le pire temps des fêtes que vous aurez connu, mais souvenez-vous qu’il n’en sera pas ainsi chaque année.