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Mon petit loup, mon Largo, voilà 10 ans que nous nous sommes dit bonjour et au revoir en même temps. Une caresse intra utérine et tu n’étais déjà plus qu’un rêve auquel nous devions renoncer. La vision d’une famille qui ne ressemblerait en rien à ce que nous avions imaginé avec tant de douceur.

 

Dix ans, et j’ai pourtant l’impression que c’était hier.  Je ressens encore, au fond de mes tripes, la violence de l’annonce de ta mort prochaine dans cette chambre d’hôpital glaciale au petites heures du matin, alors que cette journée d’été promettait d’être belle et chaude. Les heures qui ont suivi me hantent encore comme des flash : les douloureuses décisions que nous avons dû prendre, ton prénom choisi sur un coin de table entre deux sanglots, la hardiesse du déclenchement du travail, le silence assourdissant de ta naissance et puis le néant. Les heures qui s’égrènent, les vagues de tristesse qui nous ont balayés, l’hébétement, l’absurdité de ton absence et l’impression que le monde autour de nous tournait en accéléré alors que j’étais sur pause, dans ma souffrance. Mon ventre aurait dû continuer à s’arrondir, mais il était vide, vide de toi. Ton absence meublait notre condo, comme un douloureux rappel de ce qui aurait dû être et qui n’aurait pas lieu.

 

Pendant un certain temps, je me suis plu à imaginer à qui tu aurais ressemblé, quels auraient été tes traits de caractère, tes centres d’intérêt. Durant cette période, je me suis souvent demandée quelle relation ta grande sœur et toi auriez développée. Auriez-vous été complices? Auriez-vous été chat et chien, cultivant votre enfance à coups de souvenirs de chamailleries et de réconciliations? Oh oui, je t’ai imaginé, j’ai rêvé pour toi. Je t’ai cherché dans les traits de ton père, dans les jeux d’enfant de ta sœur, dans les souvenirs de ma propre enfance avec mon frère, espérant combler le vide laissé par ton absence à coup de chimères.

 

L’été est reparti et la souffrance ne s’est pas apaisée. Les vagues me balayaient dans des endroits souvent incongrus : au milieu de la liste d’épicerie, sur la chaise du dentiste, dans le métro. J’avais l’impression que cette souffrance allait m’accompagner jusqu’à la fin de mes jours, si je ne me noyais pas dans mes propres larmes avant. J’avais l’impression de faire du sur-place et j’en voulais à la terre entière, à mon corps de nous avoir trahis tous les deux. Et je me demandais bien ce qu’il allait rester de toi, moi qui n’avais pas de photos pour te montrer au monde entier, comment j’allais pouvoir affirmer que tu n’étais pas qu’un rêve qui avait viré au cauchemar.

 

Ce que je ne réalisais pas encore c’était que les vagues faisaient partie du cheminement. Je ne comprenais pas encore que chacune d’elles me permettait de me relever, un peu plus forte et un peu plus volontaire à chaque fois et que c’était cette même souffrance qui allait me permettre de survivre. Sans que je m’en rende compte, leur fréquence et la houle se sont tranquillement estompées. Et surtout, avec le temps, j’ai acquis la certitude que le devoir d’entretenir ta mémoire m’appartenait, que personne ne pourrait me le renier. Mon petit loup, mon Largo, voilà 10 ans que je crie ton nom, que je raconte ton histoire aussi souvent que je le peux, que je cultive jalousement ta mémoire.

 

Un 10e été s’amorce depuis ton départ. Dix ans durant lesquels je peux te garantir que le vide que tu as laissé derrière toi ne s’est pas comblé. Il s’est transformé grâce à toutes les rencontres que j’ai faites, aux conversations que j’ai eues. Le chemin n’a pas toujours été facile, mais je ne regrette rien. Pour être honnête, je suis encore surprise que 10 années se soient écoulées car je ne les ai pas vues passer. J’ai appris à composer avec ton absence depuis longtemps maintenant. Mais, aujourd’hui, je ne te cherche plus, car je te sais avec moi, à ta façon. Tu resteras toujours mon doux rêve inachevé, le souffle du vent dans mes cheveux, la caresse du soleil sur ma peau un jour d’été, le baiser du sel de l’eau de mer sur mes lèvres.

 

Je ne cherche plus non plus les traces ténues de ton passage sur mon corps, dans nos vies. Ce qu’il me reste de toi, c’est cette certitude que tu as existé, cette force tranquille qui m’a permis de me relever, cette résilience qui m’habite, ce désir de croquer encore plus intensément dans la vie 10 ans plus tard. Ce qu’il me reste de toi, c’est cet amour infini qui ne disparaîtra jamais et qui grandit au fond de mon cœur à chaque journée, à chaque année qui passe. Tu m’as appris que la vie n’est jamais conforme à ce qu’on imaginait, mais que d’autres belles choses nous attendent. Que ce qu’on ne connaît pas peut faire peur, mais que l’inconnu est aussi synonyme de renouveau, à sa façon. Qu’aimer la vie malgré tout, c’est possible. Tu m’as montré la voie. C’est à toi que je dois tout ça et encore plus.

 

Ce qu’il me reste de toi, Largo, c’est toi. À jamais.

Maturée aux séries télé, régulatrice de chaos, résiliente mode multimédia, philosophie Carpe Diem, Alexandrine est la maman d’une Grande-Louloute, élève de secondaire et d‘un PetitCook qui s’épanouit à l’école primaire ainsi que la maman orpheline de Largo et de Lillah, tous deux décédés en milieu de grossesse en 2008 et 2009. En plus d’écrire pour son blog personnel, de gérer les communications et les contenus diffusés pour Parents Orphelins, Alexandrine s’est récemment découvert une passion pour le street art, les enseignes de barbiers et le Tour de ville de la Ronde. Dans la vie, Alexandrine est édimestre et coordonnatrice de contenu dans une tour du centre-ville.
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