Quand tu l’as vue, tu as su que c’était elle. Tu savais que vous feriez un bout de chemin ensemble. Après un bout de temps, elle t’a dit qu’elle voulait un bébé. Tu ne savais pas trop ce que ça impliquerait mais tu as dit oui. Tu ne te voyais pas fonder ta famille avec qui que soit d’autre qu’elle. Mais disons que ton implication a été plutôt limitée au début. Tu as essayé d’être aussi excité qu’elle quand tu as vu le test de grossesse positif mais ça ne changeait encore rien à ta vie. Tu ne réalisais pas qu’elle venait de changer pour toujours, mais ça te rendait heureux de voir la femme de ta vie aussi lumineuse!
Tu as subi ses sautes d’humeur, tu l’as rassurée quand elle a commencé à prendre du poids. Elle s’inquiétait de tout et de rien mais toi, tu lui disais que tout irait bien. Elle a commencé à sentir le bébé bouger. Elle te demandait 10 fois par jour de mettre ta main sur son ventre et chaque fois, tu jouais le jeu patiemment, même s’il était encore trop tôt pour que tu ne le sentes. Tu avais hâte parce que tu te disais que ça allait rendre cette grossesse un peu plus intéressante pour toi. Tu avais bien de la difficulté à comprendre ce qu’elle pouvait vivre. Tu ne réalisais pas encore qu’il y avait un être humain qui sortirait de là.
Vous avez commencé à jaser de prénoms. Disons que vos goûts ne s’accordaient pas tellement, mais ça t’importait peu. Elle pouvait bien choisir celui qui lui plaisait, du moment qu’il était en santé, c’est tout ce qui t’importait.
Et puis, tu as enfin senti les premiers coups. Quand tu mettais ta main, ce petit bout de vous se roulait en boule en dessous. Tu avais l’impression de pouvoir le protéger déjà. Tu est devenu un papa lion. Tu interdisais à sa maman de trop en faire. Pas que tu ne la sentais pas capable, mais c’est tout ce que tu pouvais faire pour t’occuper de ce bébé qu’elle était en train de construire pour vous deux.
Et puis vous l’avez vu sur l’écran en noir et blanc. Au début, tu ne comprenais pas trop ce que tu voyais mais tout à coup, tu l’as vu : ton bébé! Tu as vu ses petites jambes, son petit nez. Tu as bombé le torse: c’est toi qui l’avait conçu! Avec cette fierté, sont venues les inquiétudes : tu surveillais chaque froncement de sourcils de la technicienne en te demandant si ton bébé était normal.
Et puis un jour, votre monde s’est écroulé. On vous a annoncé que ce petit être que vous attendiez tant n’allait jamais dormir dans le petit lit que tu venais tout juste d’installer dans sa chambre. On vous a annoncé que cet enfant, que tu imaginais déjà entraîner au baseball ou au hockey, ne vivrait jamais en dehors du ventre de la femme de ta vie. Tu trouvais ça tellement injuste, tu n’avais pas pu le connaître, tu n’avais pas pu le prendre dans tes bras, tu n’avais pas ce lien si précis qu’il avait avec sa maman et que tu avais si hâte de pouvoir créer au terme de cette fichue grossesse.
Tu avais de la peine, une peine immense que tu n’arrivais pas à comprendre et encore moins à expliquer, mais de toute façon, tu l’as ravalée parce qu’en bon papa lion, tu voulais être fort, solide pour affronter ce qui s’en venait. Tu as démonté le petit lit, mis les vêtements dans une boîte, remisé les gallons de peinture. Il n’y avait pas une minute où tu ne pensais pas à ce petit bébé que tu aimais si fort, mais tu ne voulais pas en parler parce que tu te serais effondré. Quand ça devenait trop difficile à supporter, tu te contentais de serrer silencieusement ton amoureuse très fort dans tes bras pour te réconforter.
Cher papa orphelin, sache qu’aujourd’hui, c’est ta fête. La fête du papa le plus fort du monde. Aujourd’hui, tu as le droit de penser à ce petit bout de chou qui n’aura pas pu t’offrir sa petite main étampée en cadeau mais qui l’a étampée dans ton cœur pour toujours. Aujourd’hui, tu as le droit d’avoir de la peine. Tu as même le droit de t’effondrer et de vivre cette émotion trop complexe pour en parler. Parce que ça ne fera pas de toi un papa moins fort mais bien un papa qui aime son bébé du plus profond de son cœur.
Véronique et son homme sont parents de 5 enfants dont un couple de jumeaux : un garçon plein de vie et une fille qui a mis ses ailes à la 24e semaine de grossesse.
Écrivaine refoulée, blogueuse dans l’âme sur Mes Billets Doux, c’est avec grand plaisir qu’elle partage ici ses écrits sur le deuil périnatal.