3 mai 2011. Il est 20 heures. Le cœur me brûle de l’hyper-conscience que j’ai qu’il me reste 12 heures à passer avec mon bébé. Demain, 8 heures, il me faudra faire face à une interruption médicale de grossesse (IMG), l’ultime rendez-vous après des mois de suivi qui scellera l’existence in utero de mon fils à 36 semaines.
Même si je ne peux m’empêcher de porter constamment une main à mon ventre, l’heure n’est pas au sentimentalisme. Il faut s’organiser : valises, coups de téléphone à l’accompagnante de naissance et aux grands-parents, détour au guichet automatique, plan de naissance passé au déchiqueteur, choix d’un unique petit pyjama, autant de gestes qui nous parachutent dans un présent que nous ne voulons pas.
Avant que je ne me lance dans le ménage stérile du frigo en prévision de notre absence, mon conjoint me prend par la main et m’amène devant son ordi. « On va te faire une play-list. Pour… pendant. » Nous n’osons pas encore nommer ce qui nous terrorise. L’attention me va droit au cœur. L’idée de créer une liste de musique est de me galvaniser le temps que doit durer l’intervention, ces trente minutes nécessaires au corps médical pour redonner la liberté à l’âme de mon bébé trop grande pour sa capsule corporelle.
Tout parent qui a été amené à vivre un mauvais suspense en lien avec la santé critique de son enfant sait que les sources de courage sont limitées. La musique, un catalyseur d’émotion, peut devenir une ressource, mais sa sélection demande un certain doigté : il faut choisir des morceaux musicaux doux ou rythmés qui touchent le cœur sans le faire verser. Dans le cas où la mère doit subir une intervention médicale, l’exercice s’approche de la préparation mentale de l’athlète : faire confiance au potentiel physique en s’assurant que la volonté ne défaille pas.
Mais comment y arriver?
Voici une recette musicale pour affronter ce qu’on n’a pas choisi.
En premier, choisir un titre de son interprète ou de son groupe coup de cœur, idéalement effectuer un retour aux sources, aux amours adolescentes, qui permet la libération d’une bonne dose de dopamine dès le départ.
Ensuite, pour ne pas laisser le cœur s’attendrir à un moment inopportun, piger deux ou trois morceaux dans sa liste de musique d’entrainement sans lien avec l’événement à vivre, juste un truc générateur d’énergie.
Quand on est certain d’être dynamisé, on peut s’offrir une pièce douce, pour prendre des inspirations profondes, pour relâcher un peu de tension émotive. Pas vilain, ici, d’arrêter son choix sur une chanson connotée ou une autre.
S’il est bon d’entrouvrir la porte aux émotions, on ne peut cependant pas se permettre à ce moment, alors qu’on est encore plongé dans l’épreuve, de s’épancher. Voilà pourquoi les choix suivants devraient favoriser des chansons qui font écho à des souvenirs heureux (voyages, hit estival, rencontres, etc.), question de se rappeler que la vie n’a pas toujours été une salope.
Finalement, il ne faut pas craindre de désigner, dans son cœur et pour conclure sa liste de musique, une toune en particulier qui incarne sa perte. Dans les temps qui suivront, l’écoute de cette pièce sera certes très douloureuse et déclenchera de puissantes vagues d’émotions, mais viendra un temps où elle deviendra un baume, une occasion de se rappeler doucement.
L’heure passée ainsi avec mon amoureux à s’émouvoir d’un refrain, à inviter le passé, à rechercher les symboliques m’apparaît aujourd’hui clairement comme le premier pas du deuil que nous avions à faire de notre enfant. Un pas franchi ensemble. Concevoir une liste de musique, c’est donc une occasion de s’ouvrir, de se rapprocher, de rire (sacrilège!), d’entrevoir que la vie peut continuer et de se préparer le cœur pour la suite. Ultimement, une liste de musique, c’est un souvenir de plus pour des parents qui, tôt ou tard, seront en quête de mémoire.