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Les moments charnières de ta courte vie sont ceux qui me font le plus mal. J’y repense souvent, malgré moi. Il me semble que tous ces moments te guidaient vers la fin, ta mort. Car, dès la naissance ton sort était décidé : tu n’avais pas ce qu’il faut pour vivre avec nous. La question était plutôt de savoir combien de temps tu serais physiquement avec nous. Physiquement, car tu fais partie de moi pour toujours.


Le premier et certainement le plus violent, est ta naissance. La fraction de seconde où tout ce que j’ai  pu imaginer vivre avec toi et même les petits tracas que j’ai pu anticiper (qui me paraissent maintenant d’une futilité absolue) sont réduits à néant est la fraction de seconde la plus effroyable de toutes. Tu n’auras pas la vie dont nous avions rêvée pour toi, tu ne passeras pas ta première nuit collée à moi, tu ne boiras pas à mon sein, ta sœur ne viendra pas te chercher à l’hôpital avec ses nouvelles sandales comme elle l’a répété si souvent dans les jours qui précédaient ta venue.


Le premier jour de ta vie est comme un cauchemar. Chaque nouvelle est mauvaise, pas un petit signe encourageant auquel j’aurais tellement voulu m’accrocher. Aucun. Bien qu’on ne comprenne pas ta maladie, sa sévérité ne laisse pas place à l’espoir de te voir vivre des jours heureux.


Après un long séjour à l’hôpital, il y a cette possibilité qui nous est offerte de rentrer à la maison avec toi. On ne sait encore rien de ta maladie et tu as besoin de beaucoup de soins, mais pourquoi ne pas te les administrer à la maison où tu pourras être entouré de notre amour plutôt qu’à l’hôpital où nous ne pouvons être en permanence? Si tu ne peux t’épanouir dans ce monde, je veux que ta vie soit aussi douce et remplie d’amour que possible. Alors oui, retournons à la maison…


Toutefois, même si je sais que je devrais chérir chaque moment où tu es de ce monde, une partie de moi (très égoïste) se dit aussi que chaque moment que tu vas passer dans notre maison rendra notre séparation encore plus douloureuse. C’est que tu vas laisser ta marque dans cette maison et la vie n’y sera plus jamais la même quand tu nous auras quitté. En plus, on ne peut pas dire qu’on va y « couler des jours heureux », car la mort nous attend dans un tournant et on le sait. Même si c’est peut-être mieux pour toi, ça me trouble profondément, ça me semble tellement contre nature. Si je t’ai donné la vie, ce n’est pas pour te voir mourir et certainement pas si tôt.


Malgré tout, on essaie de tirer le maximum de bonheur et de souvenirs agréables de ta présence à la maison. Mais ma tête n’arrête pas de retourner dans tous les sens mes sentiments contradictoires qui m’apparaissent aujourd’hui un peu comme la dichotomie de la raison et de la passion.

 

Une partie de moi, complètement irrationnelle celle là, me pousse à vouloir prolonger ta vie le plus possible. C’est que ça m’apaise de sentir ton petit corps chaud contre moi, de prendre tes mains, flatter tes cheveux, sentir ta respiration sous la caresse de ma main. C’est peut-être parce que ça me redonne un peu la sensation que je suis ta mère et que je fais ce qu’il faut pour te protéger dans ce monde. Ce sentiment qui a été piétiné dès ta naissance quand je te regardais impuissante subir les agressions des outils médicaux.


Mon côté plus rationnel me dit que tu ne souhaiterais probablement pas prolonger ta vie si tu avais le pouvoir de décider. Est-ce que moi je voudrais de cette vie que je peux t’offrir? Non.


Quel sentiment bizarre que de balancer entre le désir de te garder près de nous – une impulsion incontrôlable –  et le devoir moral de faire ce que nous croyons le mieux pour toi.


Puis, il y a la fin. Je me souviendrai toujours de la dernière journée de ta vie. Chaque fois que j’y repense, l’angoisse m’envahit. As-tu souffert? As-tu eu peur? As-tu senti tout l’amour qu’on t’a donné? T’es tu senti abandonné?
Tout autant de questions aussi vaines que bouleversantes.


Si je t’écris pour te raconter les moments charnières de ta vie aujourd’hui, ce n’est pas pour les immortaliser. Au contraire, je veux les libérer de mon esprit. parce que je ne suis pas vraiment capable de les raconter de vive voix et qu’ils me tourmentent.  Parce que je veux faire la paix avec ce qui t’est arrivé. Je n’y suis pas encore car je suis encore parfois en colère quand je pense à ce que tu n’as pas eu le droit de vivre et à la souffrance que tu as vécue dans ta courte vie. Mais j’y arriverai, après tout, tout le monde dit qu’avec le temps on s’habitue même si on n’oublie pas.


J’y arriverai peut-être quand j’arrêterai de chercher le rationnel dans tout ça, car la force de l’amour qui nous unit ne l’est pas du tout. Elle est plus grande que nature.

 

Gaëlle, maman d’une fille de 3 ans et d’Arthur, atteint d’une maladie neuromusculaire, né en juillet 2017, décédé en septembre de la même année. Très terre à terre et pas du tout une âme d’écrivaine, Arthur m’a donné l’envie d’écrire ce que je n’ai pas pu lui dire.

 

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