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Le 7 septembre. Il commence à faire froid. Il pleut. Faudrait bien fermer les fenêtres. Il y a deux saisons qui sont passées déjà. La demie d’une année demain. Paraitrait que c’est la première année de deuil qui est la plus difficile. L’année des anniversaires.


Je dois encore ranger les vêtements d’été et sortir ceux de l’hiver, mais je tarde à le faire. Comme si les fils qui me relient à Françoise m’empêchaient d’avancer à la vitesse d’avant. Le deuil m’a ralentie.


Je retourne au travail dans deux semaines. Ce n’est pas sans angoisses. Comme s’il ne me restait que quelques jours pour être entièrement en deuil. Six mois que mon chagrin est intact. Que je le cultive jalousement. Que je lui accorde temps et attention. L’attention que j’accorderais à cette petite, qui aurait six mois demain. Que j’entretiens ce lien entre elle et moi. Que je recherche toujours ses traces, ténues. Je retourne au travail dans deux semaines. Je devrai apprendre à prendre des pauses d’elle, à lui trouver une place qui me laissera les bras libres.


Le 18 septembre. C’est le retour. J’ai choisi le vélo plutôt que le métro. Pédaler évacue un peu le stress, mes ongles fraichement rongés comme mes témoins. On m’accueille avec sourires et accolades, on est heureux de me voir. Il y a un épais silence autour d’elle. L’heure du midi arrive. Je vais me chercher un lunch, au restaurant mexicain que j’aime bien. Je m’ennuyais de leurs quesadillas, et du garçon un peu timide qui prend les commandes. Il me reconnait : Ah oui, ça fait longtemps! Tu as eu ton petit bébé! Pas une question, juste l’évidence. Je souris. Je laisse ça là pour cette fois.


Ç’a pris trois semaines à mes collègues à me demander comment j’allais. Je comprends, on ne veut pas me replonger dans la douleur. Mais la toute petite boule dans laquelle j’entasse ma fille éclate quand je reviens chez moi. Je pleure en pédalant et je reviens vers ma famille en pleurant. Ma vie comporte une composante de tristesse que je ne peux ignorer. Compacter Françoise pour le monde professionnel n’est pas possible. Ça fait des lézardes dans l’édifice. Je la compacte, la tasse pour continuer le quotidien, et je concentre sa force. Comme le soleil d’une éclipse.


Je poursuis ce texte, deux mois plus tard. On est le 3 novembre, il y a bientôt deux mois que j’ai repris le travail. Chaque jour, je suis une meilleure travailleuse endeuillée. Je pense à Françoise mille fois par jour, mais j’arrive aussi à la mettre sur pause. À poursuivre ma carrière. Je me retire parfois pour pleurer. J’écoute parfois de la musique trop forte pour ne rien entendre. Et je suis impressionnée par la résilience de la vie, qu’une brindille arrive à percer le ciment. Je n’y croyais pas.


Revoir quelqu’un que je n’ai pas vu depuis longtemps est toujours exigeant pour moi. J’ai toujours de l’appréhension quand je revois des collaborateurs. Que savent-ils? Est-ce qu’ils croient que j’ai eu mon enfant, qu’elle est vivante? Se souviennent-ils même que j’aie été enceinte? Le retour au travail nous expose à nouveau à des premières. C’est alors un immense saut en arrière, on revient parfois aux lendemains, on revoit des gens pour la première fois depuis le drame. C’est une partie que j’avais trouvée pénible, voir les gens. Ils m’avaient vue enceinte, et elle était morte. J’allais devoir affronter leurs réactions. Le retour au travail me replonge dans toutes ces premières fois.


Le contexte professionnel dicte nos comportements, il y a un code à suivre. J’ai dû refouler ma réaction de déchirement et de jalousie quand j’ai rencontré cette cliente, enceinte jusqu’aux yeux, radieuse. Elle ne connaissait pas mon histoire. J’ai dû ravaler ma peine, afficher un sourire. C’est que j’évite habituellement les femmes enceintes et les nouveau-nés. Le contexte du travail standardise les comportements, endigue les éclats. Il s’accorde mal au temps du deuil.


Il y a aussi la planification d’une autre grossesse qui jalonne la vie. Tout ce que ça implique d’appréhension, de craintes, de joies. Il y a cette perte d’innocence qui influencera le cours de notre prochaine grossesse, et cet état devra aussi s’inscrire dans un contexte de travail. C’est beaucoup. Ça épuise. Le quotidien avec une petite invisible use parfois. Mais le travail offre aussi un lieu d’épanouissement. Il permet de reprendre contact avec le monde quotidien et banal.


Je conclus ce texte à la veille des vacances de Noël. J’attends ces vacances pour reposer ma tête. Relâcher tous ces efforts de compression, laisser libre cours aux grands épanchements. À la joie comme à la tristesse. Être nerveuse, heureuse, fâchée. Hurler, peut-être même. J’ai essayé de prendre soin de mon corps, de ma tête. J’essaie de poursuivre ma carrière, d’élever ma fille. De faire l’épicerie. De me préserver. De surveiller mes dépenses, car je me suis appauvrie aussi avec le deuil et le temps d’arrêt qui l’a accompagné. J’arrive à Noël fatiguée, mais le cœur gonflé d’amour et d’espoir. Car dans ma famille, c’est l’amour qui gagne tout le temps. On est baignés dans sa lumière.

 

Arianne est née aux Îles-de-la-Madeleine et a grandi à Outremont. Elle a deux baccalauréats, un job dans la mode, un amoureux presque parfait, deux enfants, Simone et Françoise. La plus grande est comme l’eau vive, la plus petite n’aura vécu que 30 heures. Une vie entière logée dans le mois de mars 2017.  Depuis, Arianne essaie de se rebâtir. Avec son amoureux, et à l’aide de sa plus grande, elle essaie de trouver la juste place de Françoise dans sa famille, dans le monde. Et comme elle apprend de sa plus vieille, Arianne apprend aussi de Françoise.

 

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