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Ce texte a été préparé par Steeve pour son propre blogue et qui nous l’a proposé pour diffusion. C’est avec sa permission que nous le publions sous l’entête de notre blogue collaboratif.

 

J’ai commencé à travailler sur cet article il y a plus de neuf mois. Je crois qu’il s’agit de l’expérience d’écriture la plus difficile que j’aie eu depuis la création du blogue en 2014. J’ai rencontré bien des obstacles. Ils sont venus de professionnels, comme le refus de certains à répondre à mes questions, et aussi de personnes comme la Belle-Sœur qui devient enceinte pendant que je faisais les interviews de femmes ayant vécu la perte de leur enfant. Par respect (et par superstition), je n’ai pas voulu, au départ, publier cet article. Mais maintenant, je le peux… je dispose de meilleurs augures. Sachez que je le publie puisque ces femmes le demandent : mettre des mots sur le deuil périnatal, car nommer, c’est un peu guérir…

Quand ça arrive…

Vous savez ce que je veux dire…

Quand tu réalises que le cœur ne bat plus. Quand tu réalises qu’il ne se bat plus. Le choc que ça fait… Il y a cette espèce de picotement dans le visage quand le sang disparaît et que tu deviens blanc. Puis y’a l’effet du cœur qui s’arrête de battre un tour ou deux et qui cogne vers le bas avant de repartir.

Ton souffle est rapide…

Tes yeux se cristallisent, laissant apparaître en une seconde toute la tristesse du monde.

Quand ça arrive… tu meurs un instant avec ton enfant.

Et pourtant, il devait illuminer notre vie.

Et pourtant, le jour s’est couché, pour éteindre le monde…

Et pourtant, je devais illuminer sa vie.

Et pourtant, je cours le chemin qui mène aux ombres…

Et pourtant, l’amour… toujours.

Durant les derniers mois, j’ai eu le privilège de discuter du deuil périnatal avec trois courageuses femmes. Elles ont répondu à mon appel avec une sincère gentillesse et je les en remercie. Toutes m’ont dit ceci : « Steeve, tu dois parler du deuil périnatal parce que ça touche beaucoup de femmes et que le problème est banalisé… »

Effectivement, trois, est le nombre de femmes qui ont témoigné pour cet article, mais j’ai dû rencontrer de près ou de loin une dizaine de femmes ayant vécu ce drame. Parfois, je le devinais presque par un regard rempli d’une vive douleur qu’une femme me lançait en abordant le sujet. D’autres ne le disaient que du bout des lèvres : « Moi, je l’ai perdu à onze semaines », affirme simplement l’une d’entre elles.

Dans cet article, je souhaitais aborder la question du fœtus… C’est-à-dire, quand considère-t-on le fœtus comme un vrai humain ? Ce qui est clair pour ces mamans, c’est qu’il y a une différence entre un ovule non fécondé et celui qui l’est. Dès que l’ovule est fécondé, l’instinct maternel commande à la maman que l’embryon est un individu. Là, moralement du moins, ‒ je l’ai bien senti ‒ les mères se sentent liées à l’embryon… Il s’agit cependant de ma compréhension très personnelle, issue de mon expérience avec les parents endeuillés. Je ne suis certainement pas un spécialiste mais entendre ces femmes est parfois bouleversant.

L’enfant et la mort…

Il ne faut surtout pas mutiler notre capacité à théoriser sur ce sujet. En parler franchement semble salvateur pour ces femmes. Les groupes de soutien existent partout au Québec et comme je le dis souvent : nommer, c’est guérir !

Mais quel est ce maudit verbe que les parents vivant le deuil périnatal détestent tant : partir qui empêche pleinement l’autre verbe de s’acquitter de sa tâche, mourir.

Il est parti vers le ciel…

Partir n’est pas totalement mourir, comme si les parents endeuillés se promettaient que l’enfant peut revenir. J’ai constaté si souvent ce phénomène, cette compréhension de la mort avec les femmes qui ont vécu un grand choc. Or, je me demande si ces femmes, ces parents sont eux-mêmes perdus?

Je comprends donc que c’est dans leur compréhension de l’amour que réside la plus grande des souffrances. En effet, le deuil périnatal cause un manque… celui d’un amour inassouvi, celui d’un amour qui n’a pas de réponse.

L’amour de l’enfant à naître est à ce point complexe qu’il stimule, bien sûr, le deuil périnatal. Il s’agit, en tout premier lieu, de l’amour que la mère porte à son bébé mais également de l’amour que le parent réclame de celui-ci. Le deuil périnatal est aussi le deuil de l’amour que l’enfant devait vous donner, car en tant que parent, on existe dans le regard de son enfant.

Je comprends bien cette partie complexe du deuil, car, étant homosexuel, je dois faire présentement le deuil très difficile de ne pas avoir de descendance. Ce qui me sollicite le plus est ce sentiment tout à fait égoïste, mais très naturel, de se sentir aimé et vivant à travers le regard de sa progéniture. Personnellement, je fais le deuil de la parentalité au sens strict. Car, tout comme ces parents endeuillés de mon article, je souhaite donner la vie.

J’aurais adoré me prévaloir de cet aspect de la vie… qui est de la propager.

Le père, quant à lui, épanche tout son sens de la vie à travers cet enfant à naître et vit le drame à sa manière. Il accompagne la mère dans cette vallée des ombres.

Cette vallée des ombres…

Est le vide laissé par la disparition, parfois soudaine de l’enfant à naître. Le principal problème avec ce vide est qu’il se remplit de l’inconnu. Le fœtus est à peine au départ de sa vie que vous lui aviez promis tout une Vie. Vous étiez déjà intrigués par lui. Vous aviez des inquiétudes et, ultimement, l’être à venir vous rendait déjà fiers.

Tout ce qui est vide se remplit… telle est une certitude. Là, j’ai constaté chez ces femmes, de la souffrance, de la tristesse et bien d’autres maux. Un vide laissé par ce qui devait être un lieu créateur de vie… maintenant générateur de mort. Que ça doit être déstabilisant pour ses mères.

Je souhaiterais conclure en affirmant ceci :

Quoique le public en pense, que les médecins et les théoriciens en disent, le deuil périnatal est bel et bien le deuil d’un être aimé. J’ai été surpris et scandalisé de savoir que certains parents endeuillés ont dû se battre pour reconnaître l’identité de leur enfant. J’ai entendu des histoires horribles sur des fœtus envoyés dans les déchets biomédicaux et de mères déstabilisées par la bureaucratie de nos institutions. Du point de vue légal, avant une vingtaine de semaines, il semblerait qu’un hôpital ne déclare pas une mortinaissance. L’enfant n’est pas considéré comme tel, mais plutôt comme une simple fausse couche… un détritus ! Mais pour les parents, tous sans équivoque me disent qu’il n’y a pas de différence entre un bébé de 18 semaines de gestation et d’un autre de 38 semaines.

Le deuil périnatal est effectivement un deuil complexe qui mérite toute notre humanité.

Je remercie Kathy, Stéphanie et Carolyne, trois mères courageuses qui doivent faire des deuils difficiles.

Cet article est si peu de chose tant le sujet est important. J’espère seulement éveiller les consciences sur ce sujet parfois tabou.

Très humblement, SHR

 

Steeve H.Rattie est un écrivain rimouskois originaire de Cloridorme en Gaspésie. Sa passion pour les mots vient du fait que sa famille est composée de grands raconteurs. Dès son plus jeune âge, c’est en écoutant les histoires drôles de ses oncles qu’il développera le goût pour l’écriture. Mais les mots n’ont pas toujours été tendres pour Steeve. Victime d’intimidation et d’homophobie durant une partie de sa vie, l’écrivain a développé un univers très sombre malgré lui. Après une enfance si heureuse dans la douceur de vivre de la Gaspésie, il connaîtra une série d’événements tous aussi catastrophiques les uns que les autres. Mais, après un long hiver, n’y a-t-il pas le printemps? Au tournant de sa vie, en 2013, il s’affirma et pris sa place parmi les contemporains.
Il est créateur et rédacteur en chef de la Chambre 13, un lieu de créativité littéraire
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