Quand la crise a pris de l’ampleur et que les mesures de distanciation sociale ont été mises en place, à la mi-mars, j’étais en arrêt de travail en raison de la perte de mon deuxième bébé en moins d’un an. Un choc par-dessus un autre choc…
En avril 2019, mon conjoint et moi avons dû nous résoudre à déclencher l’accouchement à 20 semaines de grossesse et à accueillir notre deuxième fils, Florent, en sachant qu’il n’y survivrait pas. Il était atteint d’un syndrome génétique très rare, incompatible avec la vie hors de l’utérus. Une succession de chocs, d’angoisse et de stress tout au long de cette grossesse difficile, pour finalement en arriver là… des moments hors du temps, ces quelques heures sacrées que nous avons partagées avec notre fils inerte, avant de quitter l’hôpital, le coeur brisé et les bras vides, pour entamer un long chemin de deuil.
Quelques mois plus tard, à l’automne, nous avions le sentiment d’avoir cheminé dans notre deuil et le désir d’un troisième enfant s’est fait sentir. Malgré les statistiques implacables de la médecine génétique qui nous prédisent dorénavant une « chance » sur quatre de revivre ce cauchemar, nous avons décidé d’aller de l’avant. Quelle joie d’apprendre qu’une petite vie s’est logée en moi très rapidement ! L’impression que la vie reprenait ses droits, que la lumière se pointait au bout du tunnel dans notre projet de famille. Une immense gratitude de porter la vie encore une fois, malgré l’angoisse en arrière-plan et la crainte de revivre le cauchemar.
Malheureusement, quelques jours à peine avant la fin rassurante du premier trimestre, qui devait aussi marquer le début d’une série de tests médicaux spécialisés pour vérifier la santé de notre bébé, des saignements importants ont commencé. Le jour de mon anniversaire, notre petite pinotte a choisi de nous quitter…
Choc, incompréhension, impression que le sort s’acharne. Nous ne saurons jamais précisément ce qui s’est passé. Les médecins pensent que le bébé n’était pas atteint du fameux syndrome génétique. Probablement juste un coup du hasard.
J’ai puisé au plus profond de mes ressources pour affronter cette deuxième perte en moins d’un an. Épuisée d’avance à l’idée de parcourir, encore une fois, le chemin que je venais à peine de fréquenter. J’ai l’immense chance d’avoir un médecin de famille qui me connaît bien depuis que je suis toute jeune et qui m’a offert un peu de temps pour absorber le choc et me reconstruire, même si le système actuel ne le prévoit pas pour une perte à ce stade de la grossesse.
Alors j’étais en arrêt de travail, un peu hors du temps, dans ma bulle en train d’essayer de trouver un sens à ce qui nous arrive depuis un an. En train de digérer que nos projets d’agrandissement de la famille et tous les rêves qui venaient avec s’envolent encore une fois en fumée. Plongée dans une certaine incertitude face à l’avenir et imprégnée d’un désir de lâcher prise pour la suite des choses…
La crise de la COVID-19 n’a fait qu’accentuer l’état dans lequel je me trouvais, finalement… tout en faisant passer mes préoccupations de l’individuel vers le collectif, en un claquement de doigts. Pour le meilleur et pour le pire.
C’est comme si le tsunami de détresse collective avait un peu noyé mon deuil… comme si ma peine n’avait plus sa place dans le contexte actuel. Ce n’est pas nécessairement vrai, mais c’est l’effet que ça m’a fait. Puisque je suis en santé, que mon chum et mon grand le sont aussi, que nous ne manquons de rien pour le moment et que nous avons la chance d’être tous à la maison, la perte de mon bébé est presque devenue irréelle dans cette période étrange de chamboulements collectifs. Encore une fois, j’ai respiré devant l’imprévu… devant ce revirement de situation qui m’obligeait à nouveau à m’adapter, à renoncer, à me tourner vers l’intérieur.
Malgré une vague impression que la crise de la COVID-19 m’a en quelque sorte volé une partie de mon deuil, j’ai aussi le sentiment qu’elle m’aide à approfondir le « lâcher prise » que je souhaite adopter face à ce qui m’attend pour la suite. Je me concentre sur l’essentiel en ce moment et je n’ai plus de projets précis. J’ai envie d’apporter ma petite contribution à cette crise et de laisser la vie suivre son cours. En souhaitant de tout coeur que malgré les écueils de cette situation hors du commun, des bourgeons de changements positifs et durables pour la société et la planète vont éclore et porter leurs fruits bien au-delà du confinement.
Compassion à ceux et celles qui portent en leur coeur le deuil d’un enfant parti trop tôt en cette période très particulière…
Catherine Sasseville-Lahaie