« On va réfléchir à ce qui est le plus digne pour lui. »
Ce fut le dernier basculement, le moment où toutes mes angoisses se sont confirmées. Gabriel, âgé d’à peine quelques semaines, atteint d’une grave malformation cardiaque, n’allait pas s’en sortir. He’s not gonna make it, comme disent élégamment les anglophones.
Entre le désespoir et la tristesse, je ressentais quelque chose d’inattendu.
Du soulagement.
Quelque part, je me disais que, certes, nous avions perdu la guerre, mais au moins, la guerre est terminée.
Personne n’a compris ce que je ressentais à ce moment-là. Ça m’a donné la force de réconforter tout le monde. À ma pauvre maman qui pleurait au téléphone, je lui disais « Ne t’inquiète pas pour nous », « Prends soin de toi », « Qu’est-ce que je peux faire pour toi? », « Comment tu te sens aujourd’hui? ». J’étais devenu le pilier de la famille, celui qui tenait le coup et qui gardait son sang-froid.
Les funérailles n’ont fait que renforcer cette sensation. L’enterrement est une façon de dire au revoir, définitivement. De laisser le défunt quitter ce monde dans la dignité, en laissant sa souffrance derrière lui.
Je ne voulais pas que mon fils souffre, surtout pas à cause de moi. J’étais terrorisé à l’idée de prendre une mauvaise décision qui aurait mené à une vie de souffrance pour lui. Les morts ne souffrent pas. C’est de là que vient mon soulagement. La maladie, la douleur, c’est terminé. Je n’entendrai plus jamais ses pleurs.
J’ai culpabilisé. Pourquoi n’étais-je pas aussi triste que les autres? Pourquoi n’allais-je pas aussi mal? Est-ce que j’aimais vraiment mon fils? Est-ce que, sans le vouloir, j’ai mis de la distance entre cet enfant et moi quand j’ai appris sa maladie?
Ça n’a duré qu’un temps. Un mois plus tard, ses pleurs me manquent horriblement. La douleur – la mienne – me rattrape, et l’absence de mon fils m’empêche de dormir. Comment ai-je pu être aussi naïf? Quel père idiot ai-je été de croire que ce serait si facile?
Bien après, j’ai lu que c’était quelque chose qui arrivait souvent, et tout particulièrement aux pères. Le décès est suivi d’une période, où finalement « ça ne va pas si mal ». Mais après quelques semaines, l’effondrement est inévitable.
Ce soulagement, ce n’était qu’une courte période de répit entre les épreuves de l’hôpital et le deuil.