Le texte de Marie-Claude date de 2014. C’est avec son accord que nous le publions de nouveau.
« La valeur d’une vie ne se mesure pas à sa longueur. Il y a de ces petites vies dont le commencement rime avec la fin. » Cecile Leclercq
Parce que depuis quelque temps, j’entends beaucoup de gens parler de photos publiées sur Internet qui seraient, selon les dires de certains, inadéquates. Des photos qualifiées de déplacées, de bizarres et même de morbides. Je ne sais pas si c’est parce que les gens manquent gravement d’empathie ou simplement parce qu’ils sont ignorants, mais j’avais le goût de prendre quelques minutes de mon temps pour leur expliquer. Je n’ai pas la prétention ni même le rêve de croire qu’ils changeront tous leur perception. Mais, si je peux simplement sensibiliser une personne au deuil périnatal, ce sera une grande victoire pour moi et une personne de moins qui fera serrer nos cœurs de mamans en deuil quand elle parle. Alors à tous ceux qui ne savent pas, tous ceux qui osent avoir une opinion sur le sujet, je vous écris ce court texte.
Nous sommes en 2014, à une époque où tout a évolué parfois trop vite, parfois tout croche, mais force est d’admettre que, de façon générale, ces progrès sont positifs. On sauve plus de vies, on vit plus longtemps, on enraye certaines maladies, mais un fait reste, une statistique demeure inchangée, une grossesse sur cinq se terminera par une fausse couche. La plupart des femmes le savent, parce qu’elles attendent le cap des 12 semaines avant d’y croire vraiment, avant de faire des projets, avant même d’en parler pour certaines. Quand on perd le bébé avant ce délai on se dit souvent que c’est la vie, que c’est mieux ainsi, que le bébé n’était peut-être pas normal. Bref, on tente de rationaliser avec ce que l’on sait et on espère que la prochaine fois sera la bonne, même si on a aussi de la peine, parfois beaucoup de peine.
Mais il y a ces autres deuils : les fausses couches dites tardives, celles qui arrivent au seuil de la viabilité, celles qui arrivent alors que l’on se croyait en sécurité parce qu’on avait vu ce petit bout de nous à l’échographie et que la médecine nous avait même permis de savoir le sexe. Nous avions choisi un prénom, nous avions imaginé notre bébé, on nous avait même dit qu’il était parfaitement constitué, de la pointe des pieds jusqu’au bout des cheveux. Un petit cœur qui bat vite et fort, des petites jambes qui gigotent, il a l’air bien, nous aussi, qu’est-ce qui pourrait bien arriver?
Un jour l’inconcevable arrive. Vous vous rendez à l’hôpital et on vous annonce que vous allez perdre votre « fœtus », mais qui pour vous, représente beaucoup plus. Vous êtes à 23 semaines, on est désolés, mais on sauve les bébés seulement à 24 semaines. Alors vous passez 12 heures à avoir des contractions, à sentir votre bébé bouger en sachant qu’à la fin, vous repartirez les mains vides et le cœur gros.
Ensuite, vous le mettez au monde. Évidemment c’était trop difficile pour lui, son petit cœur s’est arrêté. Vous le prenez, le trouvez beau, vous lui trouvez des ressemblances avec son père, vous trouvez tout ça étrange et irréel, vous êtes sonnés. Ils partent avec lui et c’est fini. Vous avez votre congé de l’hôpital, vous repartez si vous avez de la chance, avec une boîte contenant un chapeau et un pyjama, d’autres fois avec une empreinte de ses pieds et, le summum, avec des photos.
Pas de certificat de naissance, parce que ce bébé, qui avait déjà sa place dans votre cœur de parents, n’était, aux yeux de la médecine et de la société, qu’un fœtus. Il n’a pas respiré donc il n’a pas existé et à la place du certificat de naissance, le médecin vous remet un certificat de mortinaissance. Vous pourrez vous prévaloir d’un congé de maternité parce que vous êtes une mère, mais vous n’aurez pas de congé parental parce qu’on vous rappelle que vous n’êtes pas des parents puisqu’il n’y a pas d’enfant vivant…
Alors, vous revenez chez vous, dévastés, incompris, endeuillés, malheureux, mais vous devez continuer de fonctionner, parce que c’est ainsi, la vie doit continuer, après tout ce n’était qu’un fœtus. Mais c’est très dur de se relever de la perte de son bébé, de faire le deuil des projets, des rêves, des désirs que nous avions pour cet enfant. De ce fait, cette perte laisse un vide immense que les souvenirs ne pourront jamais remplir.
La première année les gens vous en parleront, vous souhaiteront bonne fête des mères parce qu’ils croient sincèrement après ce qui vient d’arriver que vous méritez ce titre. À la date anniversaire, ils vous écriront des mots d’encouragement, vous diront qu’ils ont une pensée pour vous.
Mais 5 ans plus tard les gens auront oublié, vous n’êtes plus une mère (c’était valide juste la première année) et cette date anniversaire personne ne s’en souvient, à part quelques rares personnes que votre histoire aura profondément touchées pour une raison ou une autre. Je tiens à remercier ces personnes, qui malgré le passage du temps, sont capables de vous dire : « je me souviens ».
Alors que certaines se relèvent tant bien que mal, d’autres sombrent et d’autres puisent la force de continuer en sortant de l’ombre, en brisant tous les tabous en publiant des photos de leur « fœtus » endormi!
Est-ce qu’on peut commencer par reconnaître socialement que ce n’est plus un fœtus une fois que tu as passé une nuit complète en contractions et qu’ensuite, on t’a dit de pousser pour le faire sortir?!?
Est-ce qu’on pourrait avoir un peu plus de reconnaissance envers ce bébé qui avait, la plupart du temps, un nom et un avenir dans la tête et le cœur de ses parents ?
On s’émerveille devant le courage d’un petit bébé né à 24 semaines qui lutte pour sa vie. Il devient vite viral sur le net, il ne pèse qu’une livre, il est branché de partout, on ne voit pas ses yeux, mais on le regarde les yeux pleins d’eau et on va même jusqu’à le trouver beau.
D’un autre côté, on s’indigne de voir un petit bébé d’une livre et demi, les yeux fermés, la plupart du temps dans les bras de ses parents , dans un petit pyjama ou une petite couverture et qui semble si bien, mais qui n’aura pas la chance de lutter pour sa vie, parce que son combat à lui s’est déjà arrêté. Est-ce qu’on peut reconnaître collectivement que derrière ce bébé aux airs endormis, se cache une maman endeuillée qui, avec fierté, courage et détermination, vous partage son trésor envolé? Est-ce que l’on peut cesser de s’indigner publiquement en émettant des commentaires blessants sur sa façon de réagir face à cette perte dévastatrice?
Je suis de celles qui ne font pas de vagues, mais qui admire le courage de celles qui veulent et osent changer les choses. Je suis une maman orpheline qui est repartie de l’hôpital le 20 avril 2009 avec une boîte, une empreinte de pieds et un vide immense. Si j’avais eu des photos de mon fils, je ne les aurais pas publiées sur Internet, parce que j’aurais eu trop peur de la réaction des gens (et quelque part c’est dommage, parce que mon fils mérite lui aussi d’être admiré), mais j’aime regarder ces petits bébés endormis parce que ça me rappelle que mon Charlot n’est pas seul où qu’il soit.
De mon côté, j’ai survécu en mettant un pied devant l’autre, en continuant ma vie et en espérant que l’avenir soit meilleur. Je n’ai pas de photo de mon fils, et je n’en aurai jamais à vous montrer, mais j’ai fait tatouer ses petits pieds grandeur nature dans un papillon sur mon corps. C’était ma manière de le garder près de moi, parce que pour vous il n’a peut-être pas existé, mais pour moi le vide se sa perte est bien réel et le sera toujours.
Vous aurez toujours le choix de regarder ou non ces photos, alors avant de vous dire que ça n’a pas de sens, réfléchissez un peu parce que ces photos représentent un être aimé et ont réellement du sens pour quelqu’un, mais que vous n’êtes peut être pas assez sensible pour le ressentir La prochaine fois, de grâce, demandez-vous ce que ces photos signifient pour la personne qui les a publiées et essayez de voir au-delà de vos peurs et de vos tabous! Parce que derrière chaque petit ange endormi, se cache une mère parfois forte, mais d’autres fois en détresse…