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Ces voyages

Le voyage, le tien est bien différent de ce que j’avais imaginé, tu le fais en solitaire, loin physiquement de moi, de nous...

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Jacob,

Le voyage a quelque chose d’extrêmement significatif pour moi. J’ai toujours pris un réel plaisir à découvrir de nouvelles terres, de nouveaux paysages, des oasis de beauté, à me ressourcer par le contact avec la nature et à prendre un temps d’arrêt de cette vie qui va trop vite.

Récemment, ton père et moi, et dans un certain sens, ton grand (mais tout de même petit) frère, avons dû entreprendre un voyage inattendu, non désiré, inopportun : celui du deuil, le deuil de toi Jacob, de ta vie et du projet de vie qui t’était associé. Ce voyage qui semble, pour une fois, interminable, plein de culs-de-sac, de rivières déchaînées sans pont, de montagnes aux sommets trop hauts à gravir et où une effroyable tempête fait quotidiennement rage. Ce voyage que j’aurais préféré ne jamais vivre. Je n’ai pourtant pas pris de billet pour ce voyage, je n’ai pas pris de train pour ce voyage. Je n’ai pas demandé à prendre part à ce voyage. Je cherche encore, 6 mois plus tard, à choir, à m’ancrer, à m’établir à une nouvelle destination. Une destination où je trouverai la paix, la résilience, où je me permettrai de sourire à nouveau sans culpabilité… mais est-ce que cette destination existe? Est-ce ce qu’on appelle l’acceptation?

Jacob, nous partirons, ce matin, réellement en voyage. Ce voyage est bien différent des autres. Il n’est pas désiré comme d’habitude. I n’est que l’option qui restait pour compenser le fait que tu n’es pas né. Il est une échappatoire, une fuite, un exutoire à ce qui nous est intolérable, soit le fait que tu ne sois pas là, avec nous, formant enfin une entité. Tel était notre projet de vie. J’aurais de loin préféré rester à la maison et me réveiller aux heures en entendant tes pleurs. J’aurais donné n’importe quoi pour laver une multitude de petits pyjamas. J’aurais mieux aimé changer une couche souillée après chaque boire. J’aurais de loin préféré te rencontrer. Je pensais entamer un grand voyage qu’est celui de ta vie. Je croyais qu’à ce moment-ci tu aurais mis ton baluchon sur tes épaules pour débuter cette grande aventure, ton voyage Jacob.

Jacob, un prénom que je pensais dire souvent, tendrement et parfois en haussant la voix. Un prénom que j’aurais espéré dire quotidiennement comme une mère qui chuchote à son enfant la nuit, qui raconte les exploits de son enfant à ses amis et collègues. J’aurais espéré et je pensais tellement parler de toi au présent, au futur et au passé, comme tout parent. Jamais je n’aurais cru que le passé serait uniquement associé à ton prénom. Je n’avais pas imaginé ton nom accolé au si. Si tu étais là… Si la vie était juste… Si ton voyage ne s’était pas terminé abruptement…

Le voyage, le tien est bien différent de ce que j’avais imaginé, tu le fais en solitaire, loin physiquement de moi, de nous, sans possibilité de me raconter tes aventures, tes déboires, tes bonheurs, tes peines, tes anticipations, tes souvenirs.

Le dernier voyage, tu étais là. Dans mon ventre. Tout petit. Tu étais le seul qui connaissais ta maladie, mais tu t’accrochais à ce moment-là, bien à moi, à nous. La vie nous a imposé une destination différente à cette intersection où j’aurais préféré ne jamais m’arrêter. Même sans toi physiquement, tu continues à être là à travers moi, dans ma vie, dans mon quotidien, tu es mon voyage.

Je trouverai un endroit magnifique en Oregon pour y déposer cette lettre. Un endroit qui saura te représenter, qui te fera honneur, qui fera honneur à ta courte existence. Pourquoi l’Oregon? Peut-être parce que c’est la destination finale de Cheryl Strayed, si bien interprétée par Reese Witherspoon dans Wild, elle qui se cherche, qui désire faire la paix avec sa vie, trouver un sens à ce qui semble n’en faire aucun. Peut-être que comme elle, j’aurais voulu fuir cette épreuve et marcher ma peine pendant des jours, des mois, jusqu’à trouver cette destination qu’est l’acceptation, si cette destination existe vraiment. Cela était impossible avec un petit coco à la maison, lui bien vivant, lui ma raison de m’accrocher au présent.

Jacob, même si tout indique que nous sommes trois à prendre la route vers l’Oregon. Tu es là avec moi, avec nous, simplement différemment. Comme il le sera pour chacune de nos aventures.

Allez, viens Jacob, c’est l’heure… l’avion nous attend…

Je t’aime

Maman xxx

 

Julie, maman de Jeremy un petit garçon de 3 ans plein de vie et de Jacob, parti en voyage